Franck Vialet s’est construit tout seul avant de se livrer à lui-même

L’architecte Franck Vialet prend « plaisir » à faire ce qu’il fait. Epicure n’y est pour rien. Formé en Australie (B.Sc.Architecture de l’université de Sydney en 1991) puis en France (Ecole d’architecture de Versailles, 1998), il manipule désormais deux systèmes de pensée a priori antinomiques pour se bâtir un avenir singulier. Portrait.

« Quelquefois, j’envie

[Rudy] Ricciotti au bord de la mer ». Les plages et le soleil de Bandol semblent en effet bien loin de l’agence – immense plateau partagé avec d’autres agences – de Franck Vialet, 36 ans, dans le 9ème arrondissement de Paris, avec vue imprenable… sur les grands boulevards. Le fantasme est fugace et, moins que du bord de mer, c’est de Ricciotti dont parle Franck Vialet puisqu’il poursuit, dans la foulée : « Je suis tombé sur son bâtiment à Aix-en-Provence (le Centre national de chorégraphie. NdR), juste à la fin du gros-oeuvre ; c’est un très très beau bâtiment ». Un ouvrage en béton, d’une étonnante légèreté, propre à impressionner un architecte qui avoue son goût pour ce « matériau d’avenir ».

2005 fut une année faste pour Franck Vialet, qui a livré cette année-là deux projets : la restructuration de la Maréchalerie et de la Forge, (réalisée avec Beckmann et N’Thépé et RFR) à l’Ecole d’architecture de Versailles et les laboratoires IRM à Caen pour le GIP Cyceron, ce dernier ouvrage ayant reçu le prix de la Première oeuvre. « Deux projets, singuliers et complémentaires, l’un s’inscrivant dans un contexte de monument historique, l’autre accueillant des outils de hautes technologies », écrit-il dans une présentation de l’agence succincte au possible (naissance, diplôme et parcours en cinq lignes).
Les mots de ces deux lignes supplémentaires doivent donc, pour lui, signifier quelque chose d’important, d’essentiel. Voyons : « Singuliers » ? Est-ce bien à lui d’en décider ? « Complémentaires » ? Pourquoi pas mais en quoi puisque l’architecte n’apporte aucune précision à sa pensée et que l’homme est trop intelligent pour simplement se contenter, par paresse intellectuelle, de la complémentarité des monuments historiques et de l’architecture contemporaine ?

C’est dans la réponse à cette dernière question qu’il faut chercher l’une des clés de la personnalité de Franck Vialet et donc de son architecture et de cette complémentarité importante à ses yeux. L’homme n’est pas bavard et sa retenue n’est pas loin, au premier abord, de passer pour de la brutalité, qu’aucun ‘plan média’ – c’est CyberArchi qui l’a sollicité et non l’inverse – ne vient adoucir. Relation de cause à effet ? « Paradoxalement, je n’ai jamais eu aussi peu de travail que depuis six mois (date de la remise du prix de la Première oeuvre. NdR) », constate-il. « J’envoie des C.V. » Il n’a pas d’explication à un état de fait qui ne l’émeut guère. « Cela permet de réfléchir à une démarche ; autant poser les choses, prendre un peu de distance pour mieux rebondir », dit-il. « Je ne suis pas inquiet pour l’avenir ». Il a constamment le mot ‘avenir’ à la bouche. « Je me projette constamment », dit-il.

Franck Vialet est architecte pour, au moins, deux raisons apparemment antinomiques. La première est affective. « Le désir de devenir architecte était sous-jacent, lié à la maison familiale construite par un architecte à Toulouse quand j’étais gamin », explique-t-il. Il parle de la « chance » qu’il eut d’y vivre, se souvient des visites de l’architecte. Sauf que son père, ingénieur dans l’industrie spatiale, fait un choix « aventurier » et, du jour au lendemain ou presque, embarque toute la famille pour l’Australie. A 16 ans, Franck Vialet découvre Sydney et les tours.
Après un bac international, intrigué, il s’inscrit en 1988 en architecture à l’université de Sydney et comprend alors ce qui a motivé son choix. « Ce fut une révélation de comprendre que notre environnement est dessiné, que nous évoluons dans un environnement pensé », dit-il. De là naît son désir de dessiner, c’est-à-dire que l’architecture avant d’être une image ou un art lui apparaît d’abord comme un moyen d’agir sur l’environnement plutôt que de le subir. Et ce d’autant plus que « la pensée urbaine et la logique anglo-saxonnes sont accessibles, pragmatiques, méthodiques, tramées tout en laissant une place à l’imagination ». Sensibilité et Raison doivent désormais cohabiter.

Trois ans après que sa famille (il a deux soeurs) soit revenue en France, après avoir passé avec succès son diplôme à Sydney, une question, cruciale, se pose : être Australien, ce qu’il était devenu en tout état de cause puisqu’il ne parlait plus le français, ou rentrer en France ? Un vrai choix de vie, difficile et fondateur. « J’avais construit un complexe culturel vis-à-vis de l’Europe et je ne connaissais ni Paris ni la France qui, au début des années 90, m’apparaissait comme un pays porteur d’avenir », dit-il. Ce sera Paris où il doit reprendre des études d’architecture pourtant à peine achevées puisque son diplôme n’est pas reconnu. Fort de son pragmatisme australien, il « fait le tour » des écoles et opte pour Versailles dont l’enseignement en urbanisme et paysage lui permet d’agrandir sa palette.
Son parcours l’amène à travailler aux côtés de Jacques Ripault – « qui construit énormément, c’est l’essentiel pour moi » – , François Seigneur et Sylvie de la Dure – « qui construit peu mais rêve l’architecture » – et Jean Nouvel – « les deux » -. Il fonde son agence Vialet architecture en 2001.

De la modernité de Sydney aux « vielles pierres » de Versailles il ne s’agit pas tant d’un choc culturel que d’une « accumulation de couches » qui deviennent, pour lui, le substrat sur lequel il appuiera désormais sa réflexion. C’est-à-dire qu’il ne porte pas un regard « français » ou « anglo-saxon » (pour simplifier) sur un projet mais qu’il en perçoit la richesse en fonction même de la complexité induite par les deux chemins d’accès dont il dispose et qu’il entend maîtriser, chacun, sans a priori. Ainsi estime-t-il que le béton est un « matériau très français » – il en débite les qualités avec gourmandise -, se plaît à en marier, dans un contraste saisissant, le côté lourd et pérenne avec les nouvelles technologies de pointe des laboratoires IRM de Caen tout en en parlant, avec sincérité et sans affectation, comme d’une « enveloppe bon marché ». Et s’il aime le béton – « une pierre moderne qui reste à explorer » -, il n’en fait pas une fixation, rendant hommage en passant à la logique de la construction à ossature des anglo-saxons.
Un alliage similaire de pragmatisme et de poésie est à l’oeuvre dans la restructuration de la Maréchalerie et de la cour de la Forge de l’école d’architecture de Versailles (Versailles qui lui aura porté bonheur puisqu’il y enseigne désormais). Le respect de l’histoire y est manifeste – même s’il appelle une écurie une écurie – mais sans figer la volonté de se projeter vers l’avenir ; par exemple, le toit de la cour a été conçu en ETFE (Ethylene Tetra Fluoro Ethylene) – et mis en oeuvre par la même entreprise allemande (COVERTEX), matériau ayant servi à la façade du Allianz-Arena de Munich signée Herzog et de Meuron. Dans la présentation du projet, il parvient encore à mettre dans une même phrase « ambiance mystérieuse » et « blocs de service » tout en reconnaissant – c’est suffisamment rare pour être noté – aux « réseaux techniques » et autres « fluides » le rôle d' »organes vitaux » du projet, qui sont à l’architecture, de fait, ce qu’un moteur est à une voiture.

Ces deux chantiers – avec deux maîtres d’ouvrage aussi différents que peuvent l’être L’EMOC, expérimenté et un chercheur pointu mais inexpérimenté en ce domaine – lui ont enfin permis de mettre en oeuvre, littéralement, ses idées et surtout de découvrir « l’aventure humaine » du chantier. « Pour un architecte, il est essentiel de construire », dit-il. « L’architecture de papier a ses limites. L’enseignement doctoral pourquoi pas… Mais, pour moi, faire du projet pour faire du projet, c’est tourner en rond. L’espace et la lumière n’ont aucun sens sur papier, le projet doit être construit », d’autant, note-t-il « qu’on ne rassure pas un maître d’ouvrage avec des images ». ‘Jeune architecte français’ donc selon l’expression consacrée mais détermination et manque d’états d’âme tout anglo-saxons. Ce n’est pas un hasard s’il est désormais associé (et plus puisque affinités) avec Bettina Ballus, une architecte et ingénieure allemande dont il loue « l’expérience de gestion de gros projets ». « Le travail de Bettina, en ce sens là, est déterminant », dit-il. Sa « quête de construire » ne fait donc que commencer.

« L’architecture, construire, est ma seule préoccupation », dit-il et s’il avoue d’autres passions, c’est pour les ramener à l’architecture. Ainsi d’un spectacle de danse, il ne retient que le nom du scénographe auteur des décors et de la lumière et anticipe de nouveau sur l’avenir : « Si je peux, je le fais travailler ». En attendant, il travaille sur des « petites choses » et ronge son frein. Son implication intellectuelle et mentale est totale, au point que, pour raison garder, il « ferme » le week-end, s’imposant une discipline jusque dans ses moments de détente. De là son peu de goût pour les ronds de jambes et le contact abrupt avec qui le dérange. Ses amis, nombreux, ne s’en formalisent plus.

Au final, la complémentarité dont il parle n’est pas tant un fondu enchaîné, comme on dirait au cinéma, mais la volonté affichée que l’intervention dans un lieu s’appuie « sur une position tranchée, ferme au départ et clairement identifiée ». En clair, que l’impact du dessin sur l’environnement construit soit lisible. « Le contraste m’intéresse énormément », conclut-il. C’est de Paris qu’il entend désormais mener carrière mais l’Australie, à son antipode dans tous les sens du terme, ne sera jamais très loin.

CHRISTOPHE LERAY

[1ère parution sur CyberArchi le 21 juin 2006]