Métier ? Architecte.

Une coque de béton pour abriter un labo

Centre d’imagerie dédié aux neurosciences, le laboratoire de recherche Cyceron trouve une architecture distinctive à l’entrée du campus Jules-Horowitz à Caen. Mis en service au printemps, le nouveau bâtiment du laboratoire Cyceron, à Caen, est articulé autour de 2 appareils d’imagerie par résonance magnétique (IRM) dont le coût équivaut à l’enveloppe budgétaire du bâtiment, établie à 3,3 millions d’euros pour 2.300 m2. « Nous avons bien utilisé l’argent public, sans aucun débordement, pour faire quelque chose d’un peu spectaculaire à l’entrée du campus Jules-Horowitz », commente Bernard Mazoyer, directeur du Centre d’imagerie cérébrale et de recherches en neuroscience, l’un des trois occupants du site avec le Ganil (Grand accélérateur national d’ions lourds) et le Ciril (Centre de recherche interdisciplinaire ions lasers). Moyens de recherche et image de marque ont présidé à l’émergence de cette architecture forte et originale. « Nous changeons de catégorie avec ce nouveau bâtiment en passant de 4.000 à 6.000 m2, de 100 à 150 chercheurs avec une capacité de 250, et en acquérant une visibilité plus conforme à notre ambition européenne », poursuit le directeur de cette structure de GIP commune à l’Inserm, au CEA et au CNRS.

La « volonté de rupture » exprimée par Bernard Mazoyer compose avec l’existant, la nouvelle aile se raccordant en continuité des constructions antérieures des années 1985 et 1995. Bien que perpendiculaire à l’ensemble, elle en respecte la faible hauteur et l’horizontalité d’origine. Glissée le long de la voie d’accès, elle s’étire dans le pré pour installer les chercheurs au calme, en retrait de l’avenue empruntée par le tram. Aujourd’hui rattrapé par l’urbanisation, le site du campus aux confins de Caen et d’Hérouville-Saint-Clair fait désormais figure de poumon de verdure. « Partiellement engravé, le bâtiment campé sur deux niveaux profite de la légère pente du terrain pour ressortir en proue à son extrémité », commente Franck Vialet, son concepteur.

Lauréat d’un concours ayant opposé cinq concurrents, l’architecte entre dans les arcanes de la construction en termes fonctionnels et techniques : « Le niveau bas à fleur de terre concentre les laboratoires et les locaux techniques dont une partie sont aveugles en raison des risques spécifiques liés à l’utilisation d’éléments radioactifs. Les bureaux s’établissent sur ce socle dans une alternance de terrasses et de pôles regroupant 3, 4, 6 ou 10 cellules de 15 m2 pour une grande diversité spatiale. » Précisant que le programme a été défini en concertation avec les chercheurs, le directeur commente: « Autant le socle est contraint, autant l’étage permet la mobilité au gré de la constitution des équipes. »

Une silhouette reptilienne

Ainsi découpé à l’étage, le bâtiment acquiert une silhouette crénelée quelque peu reptilienne. Le béton armé lui confère une force expressive peu ordinaire. La structure classique des voiles et des planchers coulés en place s’assortit d’une enveloppe inédite, composée d’éléments préfabriqués de grande taille dont certains se retournent en trois dimensions pour exprimer la volumétrie et la matérialité des façades autoporteuses. Affectant des plis d’origami, ces éléments de dimension matricielle participent de la génération des volumes.
« La construction répond au classement en zone sismique 1 a, ce qui s’est traduit notamment par des joints de dilatation portés de 2 à 4 centimètres et des prédalles de moindre envergure en sous-face du volume de tête avancé en porte- à-faux », précise l’architecte.

Objet de tous les soins, le béton préfabriqué, coloré en deux tons par des oxydes, apparaît sans fard. Pour ne pas déparer, les terrasses sont réalisées en béton poreux de type Quick, façon court de tennis. Si le trait est abstrait, l’ensemble peut suggérer un animal primitif, lourdement caparaçonné, alangui dans le pré. Un dragon de béton ? A moins que sa tête protubérante n’évoque une boîte crânienne… Autant d’images induites par la construction et la destination de cet ouvrage hors du commun, dont la conception est d’abord asservie à la fonction scientifique.

L’intérieur n’a rien d’un carcan, du moins à l’étage des bureaux, généreusement vitré, avec son axe de circulation longeant les terrasses. En revanche, le socle des laboratoires doit se contenter de bandeaux filants à ras de la pelouse, certains chercheurs ne trouvant pas forcément leur bonheur dans le pré, notamment ceux logés sous la tête en porte-à-faux de l’extrémité. Tous sont néanmoins invités à voir la vie en rose, certains doubles vitrages étant parés d’un film de couleur sur les circulations et dans le hall d’entrée taillé sur la double hauteur au creux de l’aile. La même teinte est reprise en fond de vitrine, toujours dans les circulations, et alterne avec un vert cru disposé par aplats, et parfois en sous-face des prédalles visibles au plafond, signalant même sur l’extérieur la boîte aveugle de l’un des 2 appareils d’IRM. L’acidité du ton rappelle l’acuité des recherches ici menées et des techniques employées.

Inauguré le 7 novembre par François Goulard, ministre délégué à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, ce bâtiment d’architecture distinctive et singulière vient de recevoir le prix de la première œuvre décerné annuellement par le groupe d’édition du Moniteur, Franck Vialet signant là sa première réalisation en propre.

FRANÇOIS LAMARRE